Par Denise Normand-Guérette, orthopédagogue
Rédactrice en chef de la revue Psychologie préventive
Professeure associée, Département d’éducation et formation spécialisées, UQÀM

 

Développer son intelligence émotionnelle est de plus en plus considéré comme nécessaire pour vivre en équilibre avec soi-même et avec les autres. Reconnaître et comprendre ses propres émotions rejaillit sur le bien-être personnel ainsi que sur les relations interpersonnelles, que ce soit dans la famille, avec les amis, dans le couple ainsi qu’au travail. Tout parent souhaite donner à son enfant les outils qui lui permettront de vivre sa vie en développant tout son potentiel. L’intelligence émotionnelle est l’un de ces outils et les parents peuvent jouer un rôle préventif auprès de leurs enfants en suscitant le développement de cette intelligence émotionnelle.

Est-ce qu’un jeune enfant peut comprendre quand on lui explique ce qu’il vit au plan émotionnel ? Oui, il est capable de comprendre. Il ressent les émotions, mais il n’a pas nécessairement les mots pour en parler. Alors, quand les adultes mettent des mots sur ce qu’il ressent, cela contribue à diminuer le stress qu’il peut éprouver par rapport à ce qu’il vit intérieurement, ce qui l’aide à être à l’écoute. Il est important d’utiliser un langage qu’il comprend pour lui expliquer ce qu’il vit et l’amener à nommer ses émotions. Mais il est aussi nécessaire d’aller plus loin que de les nommer pour l’aider à découvrir ce qui stimule ses réactions émotionnelles. Pourquoi est-il fâché, joyeux, triste, excité, découragé ? On peut lui demander pourquoi il éprouve ces sentiments. Mais, il faut d’abord, en tant qu’adulte, être attentif pour l’observer dans différentes situations et déceler ce qui peut être la source de sa réaction émotionnelle. Il est important de prendre le temps de l’observer.

Pour illustrer comment on peut soutenir l’enfant dans le développement de son intelligence émotionnelle, utilisons l’exemple du plus jeune enfant de la famille qui dit : « c’est injuste » quand on lui refuse de faire comme le plus grand qui verse du jus dans son verre. Pour comprendre ce qui stimule la réaction de l’enfant, l’adulte se demande : « Que veut-il m’exprimer quand il dit “ c’est injuste “ » ? Dans cette situation, l’enfant voit que son grand frère ou sa grande sœur peut se verser du jus. Il perçoit que ses parents reconnaissent les compétences du plus grand et qu’ils le valorisent parce qu’il est capable de verser sans en renverser. On peut expliquer au plus jeune : « Quand ton grand frère ou ta grande sœur avait ton âge, il ne savait pas comment faire. Il l’a appris. Comment penses-tu qu’il l’a appris ? Il s’est entraîné pour devenir capable. Toi aussi tu pourrais t’entraîner. Je vais te donner des verres de différentes grosseurs et un pichet d’eau. Tu vas t’installer dans le bain pour verser dans tous les verres. Même si tu renverses de l’eau, ce n’est pas grave, cela ne fera pas de dégât. Tu vas t’entraîner et quand tu verras que tu es capable de verser de l’eau dans les verres sans qu’il en tombe à côté, à ce moment-là, tu pourras toi aussi verser du jus dans ton verre. »

On peut aller encore plus loin en expliquant à l’enfant : « Quand tu dis : “C’est injuste”, au fond, tu veux dire : “Je veux que tu me trouves aussi bon que mon frère ou ma sœur” ». Voilà une façon simple d’identifier avec l’enfant quel est le stimulus à l’origine de la réaction émotionnelle. On peut ajouter : « Moi je pense que ce qui est le plus important, c’est que, toi, tu te trouves capable de verser de l’eau. En t’entraînant dans le bain, tu vas voir toi-même à quel moment tu deviens capable de verser et tu n’auras pas besoin que quelqu’un d’autre te dise que tu es bon ou que tu es capable ». Cette explication a pour but de montrer à l’enfant qu’il peut développer ses capacités pour devenir fier de lui-même et de ce qu’il apprend.

Prenons un deuxième exemple. Dans ce cas-ci, c’est le plus vieux qui dit « c’est injuste » parce que le parent aide le plus petit à mettre ses bottes. Il est important d’apprendre à l’enfant à exprimer ce qu’il ressent au fond de lui. Ici, il veut dire : « Maman, je veux que tu t’occupes de moi aussi, pas seulement de mon petit frère ou de ma petite sœur », car il voudrait recevoir autant d’attention au même moment. Il est nécessaire que l’adulte prenne conscience du stimulus qui est sous-jacent à la réaction émotionnelle, ainsi, il pourra aider l’enfant à développer un aspect de son intelligence émotionnelle en lui apprenant à dire ce qu’il ressent vraiment plutôt que de dire « c’est injuste ». On peut aussi faire un rappel de l’aide qu’il a reçue quand il a appris à mettre ses bottes et lui expliquer qu’on va lui donner l’aide dont il a besoin quand il rencontre des difficultés dans ses apprentissages actuels, par exemple, pour apprendre à lire.

Pour aider l’enfant à grandir non seulement intellectuellement, mais aussi émotionnellement, il est essentiel de l’amener à mettre des mots sur les émotions qu’il vit et à aller au-delà de la première réaction émotionnelle pour chercher ce qui provoque cette réaction. On peut en discuter avec l’enfant afin qu’il exprime pourquoi il réagit de telle ou telle façon. On peut aussi formuler des hypothèses sur la source de sa réaction et lui proposer ces hypothèses. Il est possible, à certains moments, qu’il dise : « Non, non, non, ce n’est pas ça ». En l’observant bien, on peut se rendre compte que son regard, sa mimique, le ton de sa voix indiquent qu’il a bien compris ce qu’on vient d’expliquer, mais que ce n’est pas facile de l’admettre spontanément. Il faut lui laisser le temps de digérer la raison qu’il vient de découvrir comme étant à l’origine de l’émotion vécue.  

Les parents et les intervenants, qui souhaitent avoir plus d’information pour soutenir l’enfant dans le développement de son intelligence émotionnelle et dans ses apprentissages, peuvent :

• écouter plusieurs courtes entrevues sur le site :
sroh.org/video/entrevues-a-ckvl

• s’abonner à la revue Psychologie préventive :
sroh.org/revue/le-numero-47-est-maintenant-en-kiosque