Par Anne Mc Donald, rédactrice en chef

 

Est-ce que tu pourrais nous parler de toi? Qui es-tu? Où es-tu installée?

Je m’appelle Annie Baron, j’ai 43 ans et je suis de la région de Québec. Je suis maman d’une petite fille de 8 ans, qui est en 3e année en ce moment. Je suis comptable professionnelle agréée et gestionnaire au gouvernement. Ensemble, on a notre petite maison à Québec.

 

Tu as 43 ans et ta fille a 8 ans, c’est donc vers la mi-trentaine que tu as décidé d’être maman solo?

C’est plus vers le début de la trentaine que l’envie de fonder une famille s’est vraiment fait sentir. Nous sommes à une époque où plus de femmes vont à l’université et ont une carrière.

J’ai réalisé que la trentaine est arrivée quand même vite. L’horloge biologique a commencé à sonner et l’appel de la maternité était là. Je sentais une urgence. J’avais depuis toujours le désir de fonder une famille, mais la vie a fait que la situation ne s’était pas encore présentée. J’ai eu quelques relations, mais je me suis rendu compte que je cherchais plus un papa qu’un conjoint et je trouvais que ce n’était pas une bonne raison pour être en couple et espérer bâtir une relation solide.

À ce moment-là, j’ai pensé à l’adoption. Ensuite, en parlant avec des amis, j’ai vu la possibilité d’aller en clinique de fertilité. Je voulais vraiment vivre l’expérience de la maternité, et ça semblait être une bonne solution pour moi. J’ai fait quelques recherches sur Internet. À l’époque, c’était un sujet moins connu. Il n’y avait pas tous les groupes Facebook et les blogues qui existent aujourd’hui, mais j’ai trouvé quelques exemples de femmes qui avaient fait le choix d’avoir un enfant en solo grâce à l’insémination. Je me suis renseignée et je me suis dirigée vers une clinique de fertilité privée. Mon processus a commencé comme ça et j’ai eu ma fille à 34 ans.

 

Où as-tu entendu parler de maman solo pour la première fois?

J’avais trouvé un blogue où d’autres femmes se questionnaient sur les démarches. Aujourd’hui, c’est de plus en plus commun comme façon de créer sa famille. Il y a beaucoup de groupes Facebook qui permettent aux mamans solos de vivre leur expérience en réseau. Les filles s’aident beaucoup, aussi bien pour tout le processus de conception que pour l’aspect de la vie de maman et le besoin de partager ce qui se passe dans leur famille. Ça permet de parler de nos réalités, des choix qu’on a à faire, de nos inquiétudes et de se questionner collectivement sur une foule de sujets : l’accouchement, la santé du bébé, etc.

C’est vraiment un transfert de connaissances de maman solo à maman solo. Une maman en aide une autre et, ensuite, elle donne à la suivante. C’est pour ça que je voulais faire l’entrevue aujourd’hui : pour donner à la suivante.

 

Est-ce que tu peux nous parler de ton entourage?

J’ai la chance d’avoir une relation d’entraide avec ma sœur et son conjoint, qui sont dans le même quartier et qui ont des enfants du même âge. Au début, ma mère a eu un peu peur pour moi. Elle trouvait que je prenais un chemin pas facile, mais aujourd’hui elle comprend mieux ma décision et est une bonne grand-mère. Mon père aussi a été très encourageant dans le processus. C’est même lui qui m’a accompagnée à l’hôpital lors de mon accouchement. J’ai aussi la chance de pouvoir compter sur de bons amis, qui sont à l’écoute et qui sont toujours là pour moi. J’ai toujours eu beaucoup d’encouragement, que ce soit de ma famille ou de mes amis. Ça fait du bien de savoir qu’il y a des gens autour de nous. Dans une aventure comme celle de devenir « maman solo », il faut être prête à demander de l’aide.

 

Comment est le quotidien à la maison?

On a des routines hebdomadaires qui vont vite. Avec la danse, la gymnastique et l’école, nous avons des semaines très occupées semblables aux autres familles, mais il y a un seul parent pour tout faire! L’important, c’est de toujours penser à prendre du temps pour soi. Il faut voir ses amis, sortir, s’entraîner. Être maman solo ne veut pas dire qu’on est seulement maman.

 

Côté finance, est-ce que ça coûte cher de devenir maman solo?

J’ai la chance d’avoir un bon emploi qui m’assure une sécurité financière. Comme maman solo, on planifie dès le départ notre mode de vie en fonction d’un seul salaire. Oui, embarquer dans ce processus-là a un coût, mais quand on veut un enfant, on s’organise, on fait notre chemin, on finit par oublier le coût et on aime notre famille.

Il faut dire que j’ai eu la chance que ça fonctionne rapidement. Quand ça prend plus de temps, ça peut devenir un enjeu financier. C’est important de se préparer en conséquence et d’avoir des attentes réalistes, de prendre conscience qu’on pourrait devoir reporter son projet ou d’y mettre un terme à cause de notre budget ou encore parce que ça ne fonctionne tout simplement pas.

Aujourd’hui, les femmes qui entreprennent un processus comme le mien pourront profiter de la gratuité pour les services de fertilité. C’est le retour d’un ancien programme gouvernemental pour accompagner les couples et les femmes.

 

Comme jeune maman solo. Quels sont tes plus grands succès?

À l’époque, le phénomène était plutôt rare. Donc, pour moi, aller au-delà de la peur du jugement a été une grande réalisation personnelle. Ça n’a jamais été un tabou pour moi, mais au début on a un peu peur de la façon dont les gens vont réagir. Pourtant, la réception générale a toujours été bonne. Je n’ai jamais senti de jugement. Au début, il y a la surprise des gens, la curiosité, mais au bout du compte, les gens sont contents pour toi. Les gens voient de la beauté dans notre histoire.

 

Comment ta fille vit-elle le fait de ne pas avoir de père?

Je me suis longtemps demandé si ça lui manquerait d’avoir un père. Au début, je ne savais pas trop, car je ne connaissais pas d’autre maman solo. Mais c’est un sujet dont on se parle souvent entre mamans solos. On essaie de se préparer tant bien que mal au moment où on devra répondre aux questions de nos enfants. Ça varie assurément d’un enfant à l’autre. De mon côté, j’ai toujours été honnête avec ma fille et elle sait depuis toujours comment elle a été conçue. Je lui parlais avec des mots de son âge. Finalement, je me rends compte que ma fille ne connaît pas la vie avec un papa, donc ça ne lui manque pas! Elle est satisfaite de notre famille et elle vit très bien avec le fait d’avoir seulement une maman. J’aime à penser que j’ai une relation privilégiée avec ma fille. Nous avons une belle complicité et une relation unique. C’est un beau succès pour nous.

Nos enfants vivent dans une société où la diversité raciale et sexuelle est partout. J’ai un couple d’amis gais qui a adopté une petite fille. Ma fille voit tout ça. Elle a des amis en garde partagée, qui ont des frères et sœurs, qui ont deux mamans, deux papas, etc. Pour elle, on est une famille comme les autres, c’est tout. Par ailleurs, comme enfant issue d’un don de sperme, elle a des « demi-frères » et des « demi-sœurs ». Nous sommes en contact avec certaines de ces familles. Elle a déjà rencontré une de ses demi-sœurs qui vit avec une maman solo. Un jour, elle aura quelqu’un qui vit la même chose qu’elle et avec qui elle pourra partager. C’est un autre aspect de sa vie. Elle connaît son histoire, elle sait d’où elle vient et comment elle a été conçue. Pour elle, c’est juste normal.

 

Est-ce que tu peux nous parler des autres avenues pour devenir maman solo?

Il y a l’adoption, tant au Québec qu’à l’international. Il y a certains pays qui acceptent les demandes de femmes célibataires. Certaines filles ont recours à l’insémination artisanale en demandant l’aide d’un ami ou d’un inconnu. Dans mon entourage, l’insémination en clinique, par les banques de sperme, est plus courante.

La famille a toute sorte de visages. Pour les femmes qui veulent des enfants, il y a plusieurs avenues et il y a moins de jugement qu’on pourrait penser.

 

Quels conseils donnerais-tu aux jeunes femmes qui pensent peut-être devenir mamans solos?

Le plus important, c’est de le faire pour soi. Il faut se renseigner et voir qui autour de soi ou dans la communauté vit la même chose. Avoir un bon réseau est également important, car on ne sait jamais quand on va avoir besoin d’aide. C’est certain qu’il va y avoir des moments plus difficiles et qu’un bon entourage fera la différence. Par contre, il ne faut pas avoir peur. Oui, il y a des moments d’incertitude et de doute, mais le bonheur est mille fois plus grand. C’est vraiment une aventure qui en vaut la peine.